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Résidence Daouda N'Diaye, Mai-juin 2011

 

Daouda NDIAYE, Cent papiers.

 

Les productions de Daouda NDIAYE naissent d’un regard sur le monde, sur les mondes. Mondes africains d’hier et d’aujourd’hui, réalité incontournable d’un fort héritage ancestral. Monde occidental, ailleurs plein de promesses et de mirages. L’artiste, dans sa mobilité géographique, observe ces réalités croisées, s’en imprègne jusqu’à les faire siennes : Commence alors le travail des mains. Deux mains solides, aux longs doigts abimés de cals, qu’on s’attendait à voir pétrir l’argile ou tailler la pierre, mais non : C’est le papier que l’artiste a choisi pour traduire les regards dans un langage emprunté à tous, accessible à tous, mais dont lui et  lui seul maitrise toute la grammaire.

 

Il y a de la magie dans ce langage, la sorcellerie de celui qui ne s’est pas arrêté et complu dans ce qu’on lui a enseigné, pour toujours envisager de prospecter plus avant dans l’inconnu. Mieux écouter et mieux voir pour toujours inventer et transformer. Daouda le sorcier pratique une sorte d’alchimie, insufflant du précieux dans le futile, de la grâce dans le trivial, de la beauté dans le déchet, de la lumière dans la misère : Toutes les dimensions de l’homme se retrouve soudain là, suspendues et intemporelles, quelque part entre les continents, l’hier et l’aujourd’hui, l’art et l’artisanat, l’opulence et le dénuement.

« L’artiste est un être en situation », telle est la phrase-clé que Daouda répète à l’envi, et les mots recouvrent bien la réalité de sa démarche : A l’occasion d’un séjour prolongé en France il y a quelques années, l’artiste arpente musées et galeries, parfait avec avidité sa connaissance de l’art occidental. Il subit le mordant du froid et le goût des raviolis. Il découvre aussi avec surprise les attentions du facteur qui dépose chaque jour dans sa boite-aux-lettres de nombreux prospectus publicitaires. Une sorte de réflexe l’amène à conserver ces papiers, témoignages inattendus mais touchants d’une culture différente. Rapidement, les papiers s’accumulent jusqu’à l’encombrement. L’artiste, menacé d’enfouissement, décide alors de les utiliser comme support d’un travail graphique. Insatisfaction et nouvelle orientation : Les papiers sont déchirés et réassemblés par collage. Manque de perspective et d’invention, mais Daouda invente petit à petit les premiers mots d’un nouveau vocabulaire. De la feuille commence à naître la forme, de la forme s’élèvera le volume. Contre toute logique et toute attente, le matériau le plus fragile va fonder une aventure plastique exceptionnelle. Daouda NDIAYE se met à transformer les papiers en les pliant, les froissant, les broyant, les déchirant et les roulant : Dans son sang circule la science des femmes africaines qui tressent ; dans son cœur résonnent les lamentations de ses amis parfois compatriotes sans papiers ; dans sa culture sonnent les aventures artistiques de jadis, de celles qui empruntent les sentiers détournés, dans son atelier coulent les colles, seuls matériaux qu’il s’autorise à employer pour consolider les œuvres. Et les volumes les plus inattendus prennent formes, très verticales, s’arrachant parfois même à la gravité : La feuille inutile s’est transformée en poésie tridimensionnelle. En disparaissant sous sa forme publicitaire imprimée, forte de son sens immédiat et désuet, elle acquiert entre les mains de l’artiste une signification nouvelle, entière, puissante. Elle résume l’histoire des peuples et réunit les cultures des continents.

 

Il est utile de préciser que le travail de Daouda ne s’arrête pas à une recherche simplement esthétique ou poétique, même si cette dimension s’affirme fortement. Utile aussi d’énumérer, point par point, toutes les implications de l’œuvre, artistique, culturelle, sociale, politique, sentimentale.

 

Artistique : Peintre de formation, Daouda NDIAYE n’a jamais pu se résoudre à limiter sa pratique artistique à des coups de pinceaux portés sur une toile. Bien au fait des nouvelles pratiques artistiques de la scène contemporaine, il n’a pas davantage fait de concessions aux tendances du moment. Son passage des deux aux trois dimensions s’est fait presque malgré lui, tant son regard sur les pratiques artistiques n’est pas exclusif : Tout est bon pour la création. Au-delà des classifications désormais anachroniques, c’est l’approche globale qui compte et qui fait le lien dans le travail : Dessin, peinture, photographie, volume ou installation, peu importe le medium pourvu que l’attitude soit la même, décalée. Le décalage, position qui institue la remise en question en principe personnel, est le vrai guide, celui qui amène jour après jour à la vraie singularité.      

 

La première fois que j’ai vu une installation de Daouda NDIAYE, partie de la future grande muraille des Cent papiers, j’ai été stupéfait et convaincu de n’avoir jamais vu de telle pratique auparavant. Il était difficile de dire de quoi étaient composées les œuvres. Il était difficile d’en comprendre le sens. Difficile d’en reconstituer la genèse. L’œuvre, en résistant aux mots, pourtant s’imposait sans effort au regard, majestueuse et impressionnante. En se rapprochant, elle se livrait davantage tout en affirmant son originalité et sa complexité : S’entrelaçaient d’interminables méandres de papier détourné pour ne rendre visibles que ses couleurs d’origine et les formes souvent improbables imprimées par l’artiste. La prouesse technique disparaissait derrière l’élégance de la composition. La foisonnante diversité des pistes explorées se fondait en un ensemble rigoureux d’une grande unité. Saisissant.

 

Culturelle : Le travail de Daouda NDIAYE s’inscrit dans la grande tradition des artistes récupérateurs, la matière première utilisée n’étant ni vierge ni brute. Il y a détournement et appropriation vers un sens nouveau. Rien de bien nouveau, la « récup’ » étant pratiquée en Europe depuis le début du XX° siècle. Le coup de génie de l’artiste, pourtant nullement le fruit d’un calcul marketing, c’est d’articuler cette tradition occidentale à ses propres origines artistiques. Ce sont les siècles de tressage africain qui ont conduit l’artiste à imprimer sur le matériau occidental un geste artisanal ancestral. Hommage liant les ancêtres du sang à ceux du parcours personnel et culturel. Ainsi, il est singulier et souvent saisissant d’apercevoir, nichées dans les complexes installations contemporaines, d’indéniables résurgences africaines : c’est la source qui chante. Le masque suggéré, le début ou la fin d’une sagaie, les élans longilignes, les rythmes saccadés, les tressages – l’Afrique des origines peules s’imprime dans le travail, jusque dans les anciennes interrogations rivales sur la place de l’artiste et celle de l’artisan.

 

Philippe Le Gac

Film réalisé par les élèves de 402 et de 301 du Collège Général Ferrié (Draguignan) et leurs professeurs de français (Mme Depommier) et d'arts plastiques (M. Le Gac), à l'occasion de la résidence de Daouda N'Diaye Ã  l'Espace Ferrié au mois de mai et juin 2011

 

Article de Var Matin, Juillet 2011

 

Photographies des ateliers, mai-juin 2011

 

Exposition de travaux croisés de l'artiste et des élève, Espace Ferrié, juin 2011

 

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